Œil et Art : une si longue Histoire
Certainement la partie la plus intrigante du corps humain, l’œil a, de tout temps, fasciné amoureux, médecins, religieux et artistes. Tantôt fenêtre ou miroir de l’âme, tantôt symbole de la providence, de la subjectivité ou de l’autorité, voire de la peur, notre organe visuel est, dans l’imaginaire, voué à toutes les allégories. Finalement, alors que nombre d’artistes se les sont appropriés, ont joué avec ces symboliques et les ont parfois personnifiés, on se dit que, malgré tout, nos yeux sont loin d’avoir dévoilé tous leurs secrets. Retour sur une si longue histoire entre œil et art.
Œil et Art : depuis les premiers jours
L’art n’a pas attendu bien longtemps pour faire partie des préoccupations humaines. Les premiers Hommes ont largement démontré leur savoir-faire en utilisant roches (art rupestre) et murs (art pariétal). Des scènes de vies courtes et intenses, dans lesquelles presqu’aucun détail ne semblait leur échapper.
C’est ainsi que, malgré un manque de connaissance total, ces Hommes ont su représenter avec exactitude certains des éléments qui les entouraient. Parmi eux, la faune avait largement sa place sur les parois des grottes. Rhinocéros, chevaux, tigres…ceux qu’ils croisaient devenaient inspirants.
Ils n’ont pas oublié de reproduire, parfois avec une étonnante exactitude (formes, proportions), leurs yeux, sans que l’on puisse vraiment répondre à la question d’une symbolique particulière.
C’est surtout dans l’Egypte ancienne que la représentation de l’œil va prendre une tournure toute particulière.
Dans l’imagination égyptienne, l’œil devient d’abord un symbole protecteur. On l’appelle l’Œil Oudjat, ou œil d’Horus. Il représente la vision, bien entendu, mais aussi et surtout la fécondité et les phases de la Lune.
Horus étant le Dieu Faucon, son œil est considéré par les égyptologues comme un hybride d’œil humain et de faucon. Y sont représentés avec précision certaines parties de l’œil comme la conjonctive, la pupille et le sourcil.
Le mythe d’Horus raconte le combat qu’aurait mené ce dernier contre son oncle Seth pour venger l’assassinat de son père. Au cours de ce combat, Seth arracha l’œil gauche d’Horus, le découpa en six morceaux qu’il jeta dans le Nil. Les morceaux furent alors repêchés par Thot qui rendit à Horus son intégrité vitale.
Cet Œil Oudjat fut également longtemps associé aux mathématiques, et soi-disant utilisé pour mesurer des capacités de grain.
Dans l’art byzantin, les portraits étaient représentés de façon à donner de l’importance aux yeux, en changeant leurs proportions, les considérant comme un accès à l’au-delà.
La Renaissance : le réalisme s’ajoute à la symbolique
L’art, à la Renaissance, est aussi l’avènement de la perspective, et les œuvres réalistes, si elles continuent de représenter les yeux avec une puissance toute particulière, prennent cette fois en compte l’œil du spectateur, se permettant même de jouer avec.
Le trompe-l’œil fait alors son entrée dans le monde de l’art. Plus besoin de présenter la Joconde, tableau le plus célèbre du monde, et son regard qui semble nous suivre.
Mais les yeux continuent de fasciner pour ce que l’on croit qu’ils sont, et les croyances populaires, surtout religieuses, ne manquent pas. Ainsi, Johann Heinrich Füssli, dans son tableau Le Cauchemar, dont il peindra plusieurs versions, fait à chaque fois une représentation toute particulière des yeux du cheval et de l’incube, rendant son œuvre terrifiante.
Le regard et l’œil vont justement, très souvent, être les éléments centraux, l’essence même du travail et du succès qui suivront, des artistes peintres.
Gustave Courbet, entre 1843 et 1845, réalise un autoportrait troublant, Le Désespéré, dont le regard est l’élément essentiel. Une façon de rendre sa peinture vivante, au point qu’elle donne envie, littéralement, de se retourner, pour observer à son tour ce qui désespère tant ce jeune homme.
XXème siècle : Puissance et Terreur
Avec le développement de la photographie et du cinéma, l’œil va continuer à s’imposer comme le plus intrigant des organes humains, mais aussi comme le plus puissant et, dans une autre mesure, le plus terrifiant.
Car l’œil n’est plus seulement lié à la religion et tout ce qui l’entoure, mais devient surtout le miroir des sentiments, un moyen de « lire » l’âme d’un protagoniste, afin de savoir ce qu’il pense et ce qu’il cache.
Alfred Hitchcock a, à plusieurs reprises, utilisé l’image de l’œil dans ses films. Qu’il l’utilise en guise d’ouverture (Vertigo), immobile pour signifier la mort (Psycho), ou pour permettre au spectateur de découvrir le coupable (Young and Innocent), sa complète maîtrise technique et son imaginaire ont permis à l’œil d’être bien plus qu’un simple organe de la vision pour ses personnages.
Au XXème siècle, l’œil n’a plus de limites, au cinéma comme en littérature. Il est donc, grâce à Hitchcock, mais aussi à Polanski (Repulsion), Beckett ou Schneider (Film), un symbole de l’angoisse. Il peut aussi s’apparenter à une arme (Le Village des Damnés, Le Livre de la Jungle…)
L’œil devient aussi une technique cinématographique : il suffit de zoomer pour faire comprendre au spectateur l’apparition d’un flashback (Il était une fois dans l’Ouest, Sœurs de Sang…) ou il peut encore servir de prémices à un duel imminent (Le Bon, la Brute et le Truand, Les Dents de la Mer…)
Il devient même politique, à l’image de la dictature décrite par Orwell dans 1984. Le regard de Big Brother, dépeint sur les affiches, matérialisé par le Télécran, se pose partout dans le territoire de l’Océania. Les yeux deviennent alors le symbole absolu du pouvoir et du despotisme, mais aussi de la terreur du peuple, lorsque le protagoniste principal, Winston Smith, se verra confronté à sa pire phobie.
Nos pupilles, uniques et sentimentales
Le film de Tim Burton, Big Eyes, reprend ce rapport entre les yeux et l’art, en racontant l’histoire de Margaret Keane, artiste au talent indéniable dont le mari, Walter, signera les œuvres pendant des années. Toutes les peintures de Margaret Keane représentent des enfants et des animaux aux yeux démesurément grands. Elle s’en explique brièvement, préférant tout de même garder une part de mystère : « Les enfants ont de grands yeux. Quand je fais un portrait, les yeux sont la partie la plus expressive du visage. Ils sont devenus de plus en plus grands et encore plus grands. »
Enfin, le musicien, cinéaste et artiste peintre Brian Warner, plus connu sous son nom de rock-star Marilyn Manson, dont les tableaux sont mondialement reconnus, a longtemps décrit les yeux, dans ses chansons comme dans ses peintures, comme des êtres à part entière, uniques et différents, même s’ils sont disposés sur un seul visage. Une analogie de son combat contre la mode et la ressemblance.
S’il y a bien une chose que l’on peut reconnaître à nos yeux : c’est qu’ils sont, autant que l’imagination, sans limite. Au cours des siècles, ils ont fasciné nos ancêtres les plus lointains, intrigués les plus grands artistes et scientifiques, sont devenus le symbole de nos aspirations et de nos craintes. Ils sont devenus le lien entre ce qui nous entoure et ce qui nous différencie en tant que personne unique, avec sa propre intimité et sa propre personnalité.
Il est donc inutile de préciser que, dans les années et les siècles à venir, nos yeux s’ouvriront, artistiquement, vers de nouvelles perspectives.
Pour aller plus loin, découvrez l’article d’AlloCiné ou l’émission BlowUp d’ARTE sur les plans célèbres des yeux au cinéma !
Sources : Snof, Arte, PerezArtsPlastiques